Le pêcheur et le requin. Aujourd’hui est un grand jour. Sans doute le plus beau de ma vie ; je vais enfin devenir père.
De nos jours, la vie est de plus en plus difficile pour nous, mais aujourd’hui je suis le plus heureux du monde.
J’aimerais pouvoir rester auprès de mon amour et attendre avec elle les premiers signes de notre nouvelle vie.
Malheureusement, comme toujours, le devoir m’appelle. Et je me réveille alors que le monde est encore endormi.
La vie n’est simple pour personne.
Je me console en pensant qu’en tant que bon chef de famille, je me dois d’assurer leur protection et leur bien être.
La zone dans laquelle je vais pêcher habituellement est très éloignée, le trajet comporte plus de dangers et aujourd’hui
est un jour important. Je décide de rejoindre plutôt ce petit récif à quelques quarante kilomètres de là.
Le risque en mer n’est jamais nul, mais je connais bien cet endroit. Ce n’est pas très profond et le courant y est plus important, mais les poissons y abondent, et je ne veux pas perdre de temps.
J’espère y faire bonne fortune pour ce jour de fête !
Il est très tôt. Le monde s’éveille doucement autour de moi. Aujourd’hui la mer est particulièrement calme.
Glissant sur la surface de l’eau, en silence, je me laisse porter par le courant.
Je sens les premiers rayons du soleil réchauffant ma peau. Cette solitude, ce silence apaisant…
Je réalise que je ne profite pas assez de ce moment de bonheur quotidien, trop occupé à garder le cap.
Mais aujourd’hui c’est différent. Ma nouvelle vie m’attend !
Je m’égare à porter un autre regard sur le paysage qui se dessine sous mes yeux.
D’un coté au loin, le port et ses bateaux. Toujours plus gros, toujours plus mauvais pour notre environnement et qui rendent notre quotidien toujours plus difficile.
De l’autre, les vagues lointaines jonglant avec l’horizon, les oiseaux tournoyants dans le ciel, à la recherche de poissons.
La surface de la mer ponctuée tantôt des reflets du soleil, tantôt des rochers dévoilant leurs formes au gré de la marée.
Je m’imagine déjà partager ce bonheur avec mon fils.
Lui apprendre la pêche, lui transmettre les techniques des anciens, lui faire découvrir la nature, la vie.
Et malheureusement les dangers de cette vie…
J’aperçois ma zone de pêche. Elle ne se trouve plus qu’à quelques centaines de mètres.
Le temps de laisser les souvenirs de mon enfance remonter et s’entremêler à mes rêves d’avenir.
Arrivé au récif, tout est comme dans mon souvenir. Des tas de poissons dansent tout autour de moi.
Sardines, rougets, maquereaux et bien d’autres se retrouvent ici.
La pêche est bonne ! Je suis fier de moi et surtout heureux à l’idée de pouvoir nourrir ma famille…
En une fraction de seconde, la mer s’agite soudainement devant moi.
Le courant devient plus violent, je suis emporté quelques mètres plus loin par une vague particulièrement forte.
Je vois les poissons tenter de se rassembler pour fuir ensemble, tel un essaim d’abeilles.
Les uns sont envoyés hors de l’eau avec violence, les autres sont emportés par de petits tourbillons formés par une énergie inconnue. Quand tout à coup, tout se fige… Laissant place à un silence assourdissant
Je ressens subitement une douleur me transpercer. Mon corps se crispe et commence à se tordre
Mon coeur s’emballe, mon esprit essaye de comprendre ce qu’il m’arrive. Je discerne une ombre m’attirer vers elle.
Mais quelle est cette force qui me traîne avec tant de facilités ?
Je pense à ma vie, à l’arrivée de mon fils. Je tente de me débattre de toutes mes forces. Rien n’y fait.
J’entends des bruits sourds… Est ce que ce sont des voix ? Mon pouls s’accélère encore un peu.
Je commence à apercevoir une trainée de sang dans mon sillage. J’ai peur.
Je peux maintenant ressentir l’air chaud contre ma peau.
Je crois distinguer des cris de joie. Mais pourquoi ?
Semi-inconscient, je me retrouve aux pieds de cet homme.
Je comprends très vite que je ne suis plus dans mon milieu naturel.
Dans une dernière tentative je me propulse au plus près du bord de ce bateau de braconniers, avant de réceptionner un énorme coup de botte dans la mâchoire, ce qui me condamne encore un peu plus.
Dans mon cerveau, l’oxygène se fait de plus en plus rare.
La douleur commence à s’estomper, laissant place à un sentiment de bien être inapproprié.
Je me sens bien… Je vais juste me reposer un peu…
Mon amour. Je ne te protégerai plus. Mon fils. Je ne te rencontrerai pas.
Je ne rentrerai pas ce soir. La vie n’est simple pour personne.
Maeva Charlot.http://noeskp.wixsite.com/maeva 
Mar 15 Aoû - 9:08
